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La prostitution
23 janvier 2016

Une discrimination sexiste

Un projet de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale et au Sénat prévoit de pénaliser les clients sans pénalisation des personnes prostituées elles-mêmes. Le but, clairement avoué de cette loi répressive est de faire disparaître la prostitution, considérée tout à la fois comme une violence faite aux femmes, une forme d’esclavage, une atteinte à la dignité des femmes, etc. Pourquoi, cependant, s’il s’agit de faire disparaître la prostitution, ne pénaliser que les clients et non tout à la fois les clients et les personnes prostituées ?

 

La réponse est simple. Elle tient en un slogan : « Pas de demande, pas d’offre ». Ou bien : «  S’il n’y avait pas de clients, il n’y aurait pas de prostituées ». En d’autres termes, pour faire disparaître la prostitution – car tel est bien le but avoué des prohibitionnistes-esclavagistes - il suffira de pénaliser les clients. C’est assez logique, en effet, car pour que la prostitution puisse exister, il faut deux acteurs : une personne prostituée qui propose des services sexuels, et un client qui accepte de payer pour les obtenir. Si plus aucun client n’accepte de payer, les personnes prostituées n’auront plus la possibilité de se prostituer et la prostitution disparaîtra. C’est pourquoi ceux et celles qui scandent ce slogan sont très fiers d’eux-mêmes. Ils se sentent supérieurement intelligents du fait qu’ils ont assimilé cette solution simple, logique et efficace au problème de la prostitution. Un prix Nobel de physique ou de chimie n’est pas leur cousin. Et comme elles étaient fières d’elles-mêmes ces Femen qui, manifestant devant l’Assemblée nationale, avaient inscrit ce slogan, traduit en anglais pour l’occasion, sur leurs corps. Elles se sentaient comme des rebelles défiant le monde.

 

Et, de fait, la méthode paraît efficace si l’on en juge par l’expérience de la Suède, où la pénalisation des clients existe depuis 1999. Cette loi aurait, paraît-il, fait reculer la prostitution de manière significative.

 

A cet égard, la pénalisation des clients, mâles par définition, plutôt que des prostituées, femmes par définition, est apparue comme la mesure radicale. Quel client prendrait-il le risque d’une amende aussi élevée (1 500 euros et plus en cas de récidive) ?

 

Cependant, je me pose une question : comment se fait-il que ce soit systématiquement le slogan : « Pas de demande, pas d’offre » qui vienne spontanément sur toutes les bouches comme une sorte d’évidence, alors que le slogan inverse : « Pas d’offre, pas de demande », serait tout aussi valable ? Imaginez qu’un client se présente dans une rue autrefois chaude à la recherche d’une prostituée pour lui faire subir des violences extrêmes, comme il en a l’habitude. Manque de chance pour lui, la rue est déserte. Aucune fille sur les trottoirs. Que voulez-vous qu’il fasse ? Il ne peut que rentrer chez lui, bredouille. Et, dès qu’il aura compris que plus jamais aucune femme ne proposera d’accepter des relations sexuelles contre de l’argent, il perdra l’habitude de faire une démarche qui ne mène plus à rien. En Suède, la pénalisation des clients sans pénalisation des prostituées a fait reculer significativement la prostitution mais il est probable que la pénalisation des personnes prostituées sans pénalisation des clients l’aurait fait reculer encore bien davantage.

 

Et puis, il y a encore une troisième possibilité : « Ni offre, ni demande. » En effet, si l’on interdisait à la fois aux hommes et aux femmes de proposer des services sexuels et aux clients de les accepter, la prostitution serait éradiquée de manière beaucoup plus efficace qu’en interdisant aux clients seulement d’accepter les offres des personnes prostituées ou qu’en interdisant aux personnes prostituées seulement de proposer leurs services. Cette solution est d’ailleurs la seule qui soit logique. En effet, ou bien l’Etat considère la prostitution comme un commerce admissible, et alors il ne pénalise ni les personnes prostituées ni leurs clients, ou bien il la considère comme inadmissible, et alors la conséquence logique, c’est qu’il doit en punir les deux acteurs, les personnes prostituées et les clients. En conséquence, je me pose une question : alors que trois possibilités étaient offertes au législateur, comment se fait-il qu’il n’en ait considéré qu’une seule, sans avoir même remarqué que la solution qu’il proposait n’était pas la seule possible ? Et comment se fait-il que le slogan : « Pas de demande, pas d’offre » apparaisse à tous comme une évidence, alors qu’il est tout sauf une évidence ?

 

« La proposition de loi sur la prostitution rappelle la prohibition adoptée dans les Etats-Unis des années 1920. Comme l’a montré Joseph Gusfield, les ligues de vertu à l’origine du dix-huitième amendement de la Constitution américaine, comme la Woman’s Christian Temperance Union, étaient composées de femmes de la bourgeoisie blanche soucieuses par hygiénisme, féminisme et religion de lutter contre l’alcoolisme. Leur souci de santé publique s’appliquait aux consommateurs (aux clients en somme), autrement dit aux populations immigrées les plus récentes, Italiens et Polonais, pauvres et buveurs de vin ou de vodka, qui soulevaient par bien d’autres aspects l’hostilité des WASP (White Anglo-Saxon Protestant, « blanc anglo-saxon protestant ») des ligues de vertu. Préoccupés de la santé de leurs ouvriers et espérant des gains de productivité, des industriels s’associèrent au mouvement. » Alain Garrigou, Le Monde Diplomatique.

 

Alain Garrigou a raison, il y a bien quelque chose de semblable dans la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis, de 1919 à 1933, mais il y a aussi quelque chose de différent. La loi américaine a prohibé la fabrication, le transport, l’importation et la vente d’alcool. Mais pourquoi cela ? N’aurait-il pas été plus simple et plus efficace de pénaliser seulement les consommateurs d’alcool (comme Alain Garrigou le note justement, les consommateurs d’alcool sont à la prohibition de l’alcool ce que les clients sont à la prostitution) ? C’était tout simple : sans consommateur, à quoi bon fabriquer, vendre, importer de l’alcool ? Il suffisait de dire : « Pas de consommateurs, pas de fabrication, pas d’importation, pas de vente d’alcool ». Nous aurions vu des Femen, manifestant fièrement devant le Capitole les seins à l’air avec ce slogan à l’encre noire sur leurs corps : « Pas de consommateurs, pas de vente. » Des bars clandestins, les speakeasy, se sont ouverts. Stupidement, la police américaine les faisait fermer. Pourquoi cela ? Il aurait fallu, au contraire, autoriser les speakeasy à proposer toutes les variétés d’alcool possibles : whisky, bourbon, cognac, vodka, vins de toutes sortes, bières allemandes, hollandaises, belges (la Jupiler et la mort subite notamment) etc. Pourquoi donc interdire l’offre puisque, c’est tout bête, s’il n’y a pas de consommateurs, il n’y aura pas de vente. Aujourd’hui, nous sommes bien plus éclairés que les Américains du début du XXe siècle et nous avons compris, parce que nous sommes supérieurement intelligents, qu’il était parfaitement inutile d’interdire la vente d’alcool aux Etats-Unis sous la prohibition.

 

Une autre politique stupide, celle qui consiste à interdire la vente de drogue. Pourquoi diable interdire la vente de cannabis, d’héroïne, de cocaïne ou de crack ? Pourquoi persécuter ces malheureux dealers qui ne sont, dans le fond, que des victimes de la violence extrême des acheteurs qui les forcent à vendre de la drogue grâce à leur pouvoir économique ? Car, proposer de payer de la drogue, c’est imposer au dealer de la vendre. Il ne faut donc pas pénaliser les victimes. Il faut les autoriser à proposer cannabis, cocaïne, héroïne et ecstasy dans les cages d’escalier des cités, dans la rue, aux terrasses des cafés, à la sortie des lycées, dans les boîtes de nuit. Cette offre ne posera aucun problème puisqu’il suffira de pénaliser les acheteurs. Car, « sans demande, pas d’offre ».

 

Nous le constatons, il y a quelque chose de particulier dans la prostitution, quelque chose qui n’existe ni dans la prohibition de l’alcool, ni dans la prohibition de la drogue. Quelque chose qui fait que, dans la prostitution, la loi ne pénalise qu’un seul des acteurs alors que dans la vente de drogue ou la vente d’alcool, elle pénalise les deux acteurs. Le slogan « pas de demande, pas d’offre », qui paraît aux cerveaux éclairés une explication logique et simple de la pénalisation des clients sans pénalisation des personnes prostituées n’explique en fait rien du tout. Il y a quelque chose d’autre, c’est le fait que la prostitution est un phénomène sexué. « La prostitution, note un rapport parlementaire, est un phénomène sexué : en effet, si 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. »

Le fait que la prostitution est un phénomène sexué est le fait déterminant qui explique tout. Nous comprenons pourquoi les clients sont punis. C’est qu’ils ont commis une faute qu’ils doivent expier, ils sont nés hommes. Ils sont donc coupables. Les prostituées, au contraire, sont nées femmes. Elles sont donc innocentes et elles ne doivent en conséquence pas être pénalisées. Somme toute, le crime des clients est le même que celui des Juifs sous le régime de Vichy. Ils étaient punis parce qu’ils avaient commis le crime de naître Juifs. De même, les clients sont punis parce qu’ils ont commis le crime de naître hommes. Le fondement des lois antisémites du régime de Vichy était le racisme d’Etat, le fondement du projet de loi du régime de Paris est le sexisme d’Etat. Le Commissariat aux questions masculines est chargé de faire adopter la loi sexiste.

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