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La prostitution
18 décembre 2015

Criminaliser la prostitution: danger

Parler d'esclavage, c'est remettre en cause la liberté de consentir des personnes adultes,et rendre flous les critères pour distinguer crime sexuel et acte consenti.

Criminaliser la prostitution: danger

Par Marcela IACUB

II semble que, depuis quelque temps, tout débat sur la prostitution au sein des partis majoritaires doive être plus ou moins censuré au profit d'un consensus, bavard entre la droite et la gauche sur un projet d’abolition de cette activité au moyen de la pénalisation des cliente des prostituées. Une véritable campagne a été entamée pour faire de la France le deuxième pays après la Suède (et quelques experiences locales aux Etats Unis) à pénaliser les clients des personnes prostituées. Pour justifier cette condamnation unanime et sévère les deux forces politiques n’hésitent pas à employer le grand mot d'esclavage qui est, avec le génocide, une figure du mal absolu. La banalisation de cet emploi oblige à une question de bon sens : si vraiment ceux qui s'expriment ainsi croyaient ce qu'ils disent, ne faudrait-il pas, toutes affaires cessantes, exclure les Pays-Bas de l'Union européenne et organiser un blocus de ce pays, comme ce fut le cas avec l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid ? Ce pays voisin en effet, a conformément aux revendications que portent les organisations de prostituées depuis plus de vingt ans, normalisé le statut de la prostitution comme profession, au nom de la "neutralité éthique" de l'Etat sur la sexualité adulte consentie. Corrélativement, il a renforcé la lutte contre la prostitution forcée. Que penser alors de ce qualificatif d'esclavage ?

Il est certain qu'existent des réseaux mafieux qui organisent le trafic clandestin de prostituées. Cependant, il semblerait que le nombre de personnes contraintes à se prostituer par la violence ne constitue qu'un pourcentage extrêmement faible par rapport à celles qui exercent cette activité librement. Mais le fait que la prostitution esclave soit marginale n'importe pas. On veut uniquement tirer argument de ce fait pour interdire la prostitution dans son ensemble, comme s'il ne s'agissait pas là de conditions marginales d'exercice de cette activité, mais bien de quelque chose d'inhérent à la prostitution même. Ceci n'est rien d'autre qu'un vice de raisonnement, pour ainsi dire métonymique. Jugerait-on de la même façon d'autres métiers, comme la couture ou la cuisine, du seul fait qu'ils sont aussi parfois réalisés dans des conditions d'esclavage en France même? Il ne vient à personne l'idée de condamner la couture ou la cuisine, et moins encore ceux qui achètent des vêtements ou de la nourriture. C'est à la prostitution que l’on s'en prend, parce que ce mot terrible d'esclavage est employé tout aussi bien lors même que l'on sait parfaitement qu'une personne s'y livre de son plein gré, comme tant de femmes (et d'hommes aussi) dans ce pays. Autrement dit, la métonymie est surtout une métaphore.

Certes, cette liberté de la prostituée est bien relative. Cependant, comme les critiques libertaires du début du siècle l'ont remarqué, cette liberté limitée est propre à toute vente de travail. A part ceux qui ont la chance de ne pas avoir besoin de gagner leur vie ou ceux qui s'adonnent à des activités à la fois créatrice et lucratives, on peut dire que le restant de la population a une liberté semblable à celle des prostituées: la liberté de ceux qui, sans avoir de compétences particulières ou de fortune, doivent se débrouiller pour manger, se loger et se nourrir ainsi que toutes les autres choses qui s'imposent aux êtres humains qui peuplent cette triste planète. Ils ont cependant une certaine liberté dans le choix de leurs moyens: s'il est bien une chose que l'esclave au sens strict ne peut pas faire, c'est précisément de vendre sa force de travail.

Il semble donc clair que c'est parce qu'elle est une activité sexuelle que l'activité prostitutionnelle est l'objet de telles condamnations. C'est par principe que l'on affirme que personne ne peut raisonnablement consentir à se prostituer. Il faut cependant attirer l'attention sur une contradiction: une société comme la nôtre, qui se veut sexuellement "libérée", et qui prétend faire du consentement le principe de la reconstruction de ses politiques sexuelles, qui, surtout, justifie par là l'extraordinaire explosion du domaine de la sexualité dite "criminelle" et corrélativement de la population carcérale pour motif sexuel, met gravement en cause ses propres principes lorsqu'elle entreprend de décider quand, dans quelle circonstance et en fonction de quel acte sexuel on peut admettre ou ne pas admettre ce critère de consentement.

On peut penser qu'à cet égard la condamnation de plus en plus insistante de la prostitution est révélatrice de ce que certains cherchent au moyen de tout ce nouvel arsenal pénal, c'est-à-dire tout autre chose que la liberté sexuelle. En effet, la prostitution, bien qu'elle soit consentie, est à l'opposé d'une certaine conception de ce que devrait être la sexualité, c'est-à-dire une activité gratuite, fondée sur le "désir" ou le "plaisir", à caractère intime et délicat, occasion aussi de créer des liens de sociabilité, voire des enfants si c'est possible afin d'augmenter un peu la natalité française... Si ces valeurs sont respectables, on ne peut en dire autant de la volonté de les imposer à tout un chacun avec le glaive de la loi. Pour ces réformateurs fondamentalistes, une femme ne saurait jamais choisir librement cette activité, car sa liberté en ce domaine n'est qu'illusion. Elle n'est que victime, victime du désir sauvage et quasi-criminel par essence des hommes. Ces braves gens sont censés savoir ce que veut dire pour les autres la liberté, le "vrai" consentement. Cette attitude paternaliste est très dangereuse dans une société démocratique et pluraliste, et surtout dans une société qui prétend faire de la liberté de consentir des personnes adultes, c'est-à-dire ayant atteint la majorité sexuelle, le fondement du nouvel ordre sexuel. Si l'on met en question cette liberté, on n'aura plus de critères pour distinguer un crime sexuel d'un acte consenti. Ceci est extrêmement grave. Car il faut rappeler que le droit pénal est d'interprétation stricte: chaque citoyen a le droit, a priori, de savoir quels actes sont autorisés, quels actes sont punis - surtout lorsqu'il est question de crime sexuel, qui engage les peines les plus longues et les plus douloureuses de tout notre arsenal pénal.

C'est ce genre de raisonnement si douteux pour la protection des libertés publiques (du citoyen à l'égard des abus de l'Etat) qui soutient l'amalgame de la liberté de se prostituer au fait d'être victime d'un crime. Cette en question du consentement des femmes à partir de la théorie fumeuse de la domination masculine a vocation à s'étendre à d'autres comportements que la prostitution. De fait, les féministes américaines antilibérales, qui font depuis longtemps une campagne contre la prostitution et la pornographie aux Etats-Unis, ont au moins le mérite de la cohérence: elles considèrent que même les rapports sexuels consentis dans le mariage devraient être mis en cause, car les femmes épousent des hommes plus riches qu'elles, ayant une meilleure position et sont obligées de coucher avec eux du fait de la loi de la domination. La seule issue avant la "libération finale" serait donc de cesser tout contact avec les dominants, ceux, bien entendu, qui n'auraient pas encore étés emprisonnés, soumis de surcroît à des thérapies psycho-hormonales. Il est assurément peu probable qu'elles aient finalement gain de cause. En revanche, si cette théorie absurde de la domination triomphe, il est certain que tout rapport entre hommes et femmes dans un contexte de domination est suspect, et que donc les critères qui permettent de séparer le sexe normal du sexe criminel ne vont pas cesser de bouger. Il semble donc urgent que ceux qui, aussi bien à droite qu'à gauche, sont conscients des risques considérables en termes de libertés publiques que fait peser cette criminalisation des actes sexuels consentis, se mobilisent afin d'arrêter cette talibanisation des politiques sexuelles françaises. La réglementation de la prostitution entre des personnes majeures pourrait être un bon début.

Marcela lacub

(juriste, chargée de recherche au C.N.R.S.)

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Commentaires
L
Les premiers effets de l'opposition de Médecins du Monde au Projet de Pénalisation du client se font sentir : Abandon des subventions publiques pour le programme Lotus Bleu :<br /> <br /> <br /> <br /> http://www.leparisien.fr/paris-75/pa...RSS-1481423633<br /> <br /> <br /> <br /> On s'approche de la politique suédoise où les associations de santé communautaire ont été bannies par les pouvoirs publics, accusées de faire le jeu de la prostitution.<br /> <br /> Une pute qui meurt d'une MST, c'est sans doute leur plus grand rêve... une de moins, quel progrès<br /> <br /> <br /> <br /> Aucun problème de subvention pour le Mouvement du Nid qui ne travaille pas dans cette optique de prévention de la santé publique et qui ne distribue pas de préservatifs. Leurs grasses subventions sont inscrites dans le budget 2016.<br /> <br /> <br /> <br /> C'est beau l'humanisme des abolitionnistes !
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