Réponse à Morgane Merteuil
J’ai lu avec attention votre réaction au manifeste dit « des 343 salauds ». Je ne vous cacherai pas que j’ai été quelque peu choqué et indigné par certaines de vos affirmations. Si vous me le permettez, j’aimerais faire quelques observations.
Vous écrivez : « Ne venez pas nous parler des peines inscrites dans la loi, qui ne seront appliquées au mieux que 3 fois pour l’exemple, car elles n’ont en réalité d’autre but que de forcer les putes à toujours plus se cacher. » Honnêtement, je suis surpris. Si je vous suis correctement, vous voulez dire que les peines prévues par la loi ne seront pas appliquées. D’où tenez-vous cette information ? Sur quoi vous basez-vous pour dire une chose pareille? Pourquoi voter une loi si c’est pour ne pas l’appliquer ? En Suède, la loi est appliquée. Pourquoi pensez-vous qu’il devrait en être différemment en France ?
Comme je suis un peu naïf, j’ai pensé que la pénalisation des clients avait pour but de pénaliser les clients. Apparemment, vous n’êtes pas de cet avis. Pourquoi ? Parce que dans le « patriarcat » les hommes ne peuvent jamais être pénalisés ?
Il a été dit et redit que pénaliser les clients, c’est pénaliser les prostituées. Par exemple Esther Benbassa, vice-présidente de la commission spéciale du Sénat explique que le Sénat a rejeté la pénalisation des clients parce que pénaliser les clients reviendrait à pénaliser les prostituées. Je suis entièrement d’accord avec cette opinion. Mais comment pouvez-vous dire que l’objectif de la loi est de pénaliser « exclusivement » les prostituées ? C’est absurde. La loi pénalise à la fois les clients et les prostituées. L’un n’empêche pas l’autre.
De plus, si comme vous semblez étrangement le penser, la loi n’est pas appliquée, pourquoi les putes devraient-elles se cacher ? D’une part, la loi ne leur interdit pas de proposer leurs services. D’autre part, les clients pourront accepter leurs offres en toute liberté, sans crainte de la police puisque la loi ne leur sera pas appliquée. La prostitution pourra donc se faire au grand jour, sans que quiconque ait besoin de se cacher. La crainte de voir se développer une prostitution dans des lieux isolés découle de l’idée que la loi sera appliquée. Mais si elle ne l’est pas, où est le problème ?
Vous écrivez encore : « C’est nous putes qui sommes stigmatisées et insultées au quotidien parce que vendre les services sexuels n’est pas considéré comme une manière « digne » de gagner sa vie. » Vous avez entièrement raison et je déplore profondément cette stigmatisation. Mais n’avez-vous pas l’impression que les clients des prostituées sont eux aussi, ne serait-ce qu’un tout petit peu, stigmatisés ? Vous déplorez dans « Libérez le féminisme » que selon les clichés prohibitionnistes les clients sont nécessairement, je cite, « d’ignobles personnages », « des machos », « des tortionnaires pour qui la femme ne serait qu’un simple objet sexuel ». N’est-ce pas, cela aussi, être un tout petit peu stigmatisé ? N’avez-vous jamais entendu dire que les relations sexuelles des clients avec des prostituées n’étaient pas autre chose que des viols rémunérés ? Un viol légal que, justement, la loi se propose de rendre illégal ? Or, si je ne m’abuse, le viol est un crime. Et celui qui commet un crime est un criminel. Par conséquent les clients des prostituées sont des criminels. Et être traité de criminel, est-ce que ce n’est pas un tout petit peu être « stigmatisé » ? Chacun se sent libre d’insulter les clients: salauds, pauvres types, connards, crétins, personnages nauséabonds, machistes, sexistes, ringards, etc.
Vous écrivez dans « Libérez le féminisme » : « Si nous prenons la parole pour dire autre chose que pour raconter les misères qui doivent forcément nous arriver, si nos propos ne consistent pas à s’excuser d’être pute, voire pire, si on ne supplie pas qu’on nous sorte de là, nos propos sont systématiquement discrédités. ». Le cas des clients est le même. Les clients repentis qui se présentent la queue entre les jambes et font amende honorable sont bienvenus. Mais les clients non repentis sont discrédités. Et de même que les prohibitionnistes exhibent des prostituées repenties comme des animaux de foire, ils exhibent des clients repentis qui viennent dire à quel point ils regrettent de s’être comportés comme des salauds et jurer qu’ils ne le feront plus. Par exemple, sur le site du mouvement du nid, vous trouverez aussi bien Ladja, survivante de la prostitution « Un soir, j’ai vu une émission sur la prostitution à la télé. Ils ont donné le téléphone du mouvement du nid. Le lendemain, je laissais un message. Je me souviens, j’avais bu. Grâce au nid, j’ai pu entamer des démarches », que Julien, ancien client « J’ai rejoint le mouvement du nid et je participe activement à la prévention. L’éducation est essentielle. Mais pour dissuader les clients, elle ne me paraît pas suffisante. A mon niveau, je sais que la loi, l’interdit, aurait été un secours.» (malgré son repentir Julien n’est pas désigné comme survivant). Par conséquent, si les putes sont stigmatisées, les clients le sont aussi.
Vous avez fait observer que les signataires du manifeste des « 343 salauds » ne risquaient aucune peine, pas même une amende, et c’est parfaitement exact. Mais ce n’est pas une raison pour leur refuser le droit de s’exprimer. Si l’on veut intervenir dans un débat concernant un projet de loi en cours de discussion, c’est avant qu’il soit voté qu’il faut le faire. Après, il est trop tard, les carottes sont cuites. Il est donc infondé de reprocher aux « 343 salauds » de s’être exprimés sans encourir de risque pénal. Si l’on n’a le droit de s’exprimer qu’à la condition de risquer la prison ou la mort, il faudra modifier le texte de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme qui dit que « chacun peut parler, écrire, librement » pour qu’il devienne : « Chacun peut parler, écrire à condition d’encourir une peine pénale s’il le fait. ».
Je comprends que la référence au manifeste des 343 femmes qui ont avorté ait pu vous choquer. Cette référence était maladroite et en plus elle a eu un effet pervers. Les commentaires se sont focalisés sur elle, ce qui a eu pour effet de détourner l’attention du problème de fond, l’injustice faite aux clients de prostituées. Elisabeth Badinter déplore que les personnes que l’on n’entend pas soient les personnes concernées, à savoir les prostituées et les clients. Or, si les prostituées s’expriment un peu, même si elles ne sont pas très médiatisées, les clients eux, ne s’expriment pas du tout. Il est donc positif que certains l’aient fait, même si la forme était maladroite.
Certains font des comparaisons entre les peines encourues par les clients, qu’ils jugent « infimes » (ils voudraient sans doute quelles soient plus élevées) et les peines de prison encourues par les femmes qui avortaient avant la loi sur l’IVG. Mais il ne s’agit pas d’une compétition pour savoir qui est le plus sévèrement puni. Une injustice est une injustice, qu’elle soit petite ou grande. De plus, je trouve que 1500 euros pour une relation sexuelle, c’est loin d’être minime. En outre, l’amende est doublée en cas de récidive. Enfin, quel que soit le montant de l’amende, elle est une injustice parce que ce n’est pas une question de montant, mais une question de principe. Une amende d’un euro, ce serait encore inadmissible.
Vous écrivez encore : « Que ce soit une amende ou de la taule on s’en fout parce que ce ne sont pas les clients qui seront pénalisés, ce sont les putes. » Comment pouvez-vous écrire une chose pareille ? Quel manque de cœur ! Franchement, n’avez-vous pas honte ? Ces paroles sont non seulement stupides, car les clients seront pénalisés, mais elles sont aussi cruelles, blessantes et contraires à vos propres intérêts.
Le projet de loi en discussion est à la fois injuste et incohérent. Il est injuste parce qu’il pénalise directement les clients et indirectement les prostituées, il est incohérent parce qu’il autorise les prostituées à proposer leurs services mais pénalise les clients qui les acceptent. Si le projet de loi prévoyait de pénaliser à la fois les prostituées et les clients, comme aux Etats-Unis, il serait injuste, mais cohérent. C’est cette incohérence que dénonce Elisabeth Badinter : « Je n’arrive pas à trouver normal qu’on autorise les femmes à se prostituer mais qu’on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n’est pas cohérent et c’est injuste. Je ressens cette volonté de punir les clients comme une déclaration de haine à la sexualité masculine. Il y a une tentative d’aligner (la sexualité masculine sur) la sexualité féminine, même si celle-ci est en train de changer. Les femmes qui veulent pénaliser le pénis décrivent la sexualité masculine comme dominatrice et violente. Elles ont une vision stéréotypée et moralisante que je récuse. » J’appuie entièrement l’opinion d’Elisabeth Badinter. A ma connaissance, elle est la seule à avoir dénoncé l’injustice faites aux hommes. Le Strass ne l’a pas fait, et je pense que c’est une erreur parce que le faire renforcerait la position des personnes prostituées. La loi ne doit pas être dénoncée pour une raison seulement, mais pour trois raisons. Un, elle est une injustice faite aux personnes prostituées. Deux, elle est une injustice faite aux clients. Trois, elle est incohérente. Trois raisons de dénoncer la loi, c’est tout de même mieux qu’une seule, ne trouvez-vous pas ?
De plus, en sus de l’amende, les hommes ressentent un préjudice moral parce qu’ils sont désignés comme des coupables. Et être désigné comme coupable quand on est innocent, c’est ressentir un préjudice moral. Les personnes prostituées, elles, ne sont pas désignées comme des coupables, mais comme des victimes. Et être désigné comme victime, ce n’est pas être désigné à l’opprobre de l’opinion publique. Les personnes prostituées ne ressentent pas le préjudice moral subit par les clients.
LES CLIENTS VICTIMES
Vous écrivez : « Votre discours voudrait faire croire que vous êtes les pauvres victimes des progrès féministes »
Je suis persuadé, effectivement, que si la loi est votée, les clients seront victimes parce qu’ils devront payer une amende de 1500 euros, puis de 3000 euros. Payer une amende, quand on est innocent, c’est bel et bien être victime.
D’autres que vous comprennent que les hommes seront victimes de la loi, par exemple Elisabeth Badinter. « Je n’arrive pas à trouver normal qu’on autorise les femmes à se prostituer mais qu’on interdise aux hommes de faire appel à elles. Ce n’est pas cohérent et c’est injuste. »
Comme elle comprend que les hommes seront victimes si la loi est adoptée, sa réaction au manifeste des 19 salauds est plus modérée que la vôtre. Une journaliste lui demande : « Qu’avez-vous pensé de l’appel des 343 salauds qui s’opposent à la pénalisation des clients de prostituées au nom du respect de la liberté ? » Elle répond : « C’était une intervention nécessaire. Car je suis frappée du silence des hommes dans ce débat. Deux catégories d’individus ne s’expriment pas : les hommes, prochaines cibles de la loi, et les prostituées. La forme était contestable. Mais je n’ai pas de critiques sur le fond. » (Huffington post.)
Vous pensez que les hommes ne peuvent pas être victimes des progrès du féminisme. Mais si au lieu de « progrès du féminisme », nous disions « régression du féminisme », est-ce que ce ne serait pas une manière plus juste de décrire les choses ?
Elisabeth Badinter (encore elle !) a écrit un livre qu’elle a intitulé « Fausse route ». Elle pense que quelque chose ne va pas dans la tournure prise par le féminisme. En somme, elle exprime plus ou moins l’idée qu’il y a une régression du féminisme.
De la même manière, dans « Libérez le féminisme » vous exprimez l’idée que quelque chose ne va pas dans le féminisme que vous appelez mainstream, c’est-à-dire la tendance dominante du féminisme.
En fait, il y a deux aspects dans le féminisme. Un aspect affiché et bien connu (plus de droits pour les femmes) et un aspect bien réel, mais plus discret (réduire les droits des hommes, particulièrement leurs droits sexuels). Vous n’ignorez pas, du moins je l’espère, que l’une des idées de base du féminisme, c’est que la sexualité masculine est mauvaise par nature. C’est pourquoi il faut la brider par toujours plus de lois répressives. Mettons toujours plus d’hommes en prison et la société sera meilleure. Dans ce sens, retirer aux hommes le droit d’avoir des rapports avec des prostituées, qui est une réduction des droits sexuels des hommes, est effectivement un « progrès » du féminisme, et les hommes en sont effectivement victimes. L’expression « victime des progrès du féminisme » vous paraît une aberration parce que vous accordez au féminisme le bon dieu sans confession. Pour vous, il est nécessairement bon, juste, humain, égalitaire, respectueux de l’autre, etc.
PRIVILEGES
Vous écrivez encore : « Abject votre refus de reconnaître vos privilèges »
Ainsi, les hommes auraient des privilèges. Lesquels, s’il vous plaît ? J’ai l’impression que vous n’avez pas mis votre pendule à l’heure. Aujourd’hui les hommes n’ont plus aucun privilège. Les femmes ont autant de droits que les hommes et même plus. Pouvez-vous me citer un seul « privilège » masculin ? Il n’y en a aucun.
Je suis un homme et je n’ai jamais eu l’impression d’avoir le moindre privilège. Non seulement le fait d’être un homme ne m’a jamais avantagé, mais il m’a plutôt desservi. Il y a bon nombre d’années de cela, j’ai réussi un concours d’admission dans la fonction publique territoriale en catégorie C. Or, dans la fonction publique territoriale, contrairement à la fonction publique d’Etat, ceux qui réussissent aux concours ne sont pas admis d’office dans un poste, mais ils doivent faire acte de candidature, comme dans le privé. Il faut consulter les offres et envoyer des lettres de motivation. J’ai décroché un entretien dans une collectivité du 19e arrondissement. Le chef de service qui m’a reçu (un homme) m’a expliqué que son service était exclusivement féminin et il m’a fait comprendre qu’embaucher un homme le gênait parce que ce serait introduire un coq dans la basse cour, alors qu’il aurait pu se dire qu’un peu de parité ne ferait pas de mal. Naturellement, il n’a pas retenu ma candidature. La parité fonctionne à sens unique. Elle profite exclusivement aux femmes. Savez-vous que la population carcérale est composée à 97% d’hommes. Pourtant je n’ai jamais entendu quiconque revendiquer une quelconque parité.
Curieusement, quand j’entends les féministes parler de la condition des hommes dans la société prétendument patriarcale, je ne reconnais rien de ce que je vis. C’est un peu comme si on me lâchait à Tokyo en me disant : « Ca, c’est Paris ! ».
ILS NE RISQUAIENT RIEN
L’une des raisons (si je comprends bien, mais je ne comprends pas forcément tout) pour lesquelles vous avez trouvé « abjecte » la référence au manifeste des 343 femmes qui ont déclaré avoir avorté réside dans le fait que les clients ne risquaient « rien », alors que les femmes qui ont déclaré avoir avorté étaient des héroïnes qui ont pris des risques considérables. Que les chétives personnes de ces clients puissent se comparer à des héroïnes féministes, c’est effectivement abject.
Comme je vous l’ai dit, il est exact, la loi n’étant pas en vigueur, que les clients en déclarant avoir copulé ne risquaient aucune amende. Mais je pense aussi que ce n’est pas une raison pour leur refuser le droit de s’exprimer parce qu’il ne s’agit pas d’une compétition pour savoir qui a pris le plus de risques. La liberté d’expression ce n’est pas la liberté de s’exprimer en proportion des risques encourus. Mais, quand même, regardons les choses de plus près.
Elles ont risqué la mort
« Les risques qu’elles prenaient étaient grands, alors, parce qu’en avortant dans des conditions clandestines, c’est leur vie que ces femmes risquaient. »
Oui, les femmes qui avortaient risquaient la mort. Du moins si elles avortaient réellement. Simone de Beauvoir, qui a rédigé et signé le manifeste n’avait pas avorté, comme nous l’apprend sa biographe, l’Américaine Deirdre Blair. « Le 5 avril 1971, le Nouvel Observateur publiait un manifeste signé par 343 femmes déclarant qu’elles avaient avorté, ce qui était illégal en France à l’époque. Le manifeste des 343 fit sensation, et bien entendu une grande partie de l’attention se concentra sur Simone de Beauvoir, cible favorite des écrivains et des publications de droite depuis des lustres. Ce qu’ils ignoraient, c’était que Simone de Beauvoir n’avait jamais avorté. » « Je n’ai jamais été enceinte, comment aurais-je pu avorter ? » disait Beauvoir en 1982. Ainsi Simone de Beauvoir n’a jamais risqué sa vie en avortant et elle ne risquait pas la prison pour avoir avorté illégalement. Ainsi, pour reprendre votre terminologie, elle ne risquait « rien ». Etait-elle pour autant « abjecte » ?
Et Catherine Deneuve ? A-t-elle avorté ? Franchement, je n’en sais rien. J’ai simplement l’impression que certaines femmes qui ont signé le manifeste l’ont fait en raison de leur notoriété, non parce qu’elles avaient réellement avorté.
Mais passons, car beaucoup, j’imagine, avaient réellement avorté. Cependant, il faut faire une distinction entre deux choses bien distinctes : avorter et signer un manifeste. Les femmes risquaient la mort en avortant clandestinement, mais en signant le manifeste, elles ne la risquaient pas. On ne risque pas la mort en apposant sa signature au bas d’une pétition. Or, ce dont nous parlons, c’est du manifeste des 343, pas des avortements qui l’ont précédé. En présentant les signataires du manifeste comme des héroïnes qui affrontèrent la mort, vous dramatisez. Affirmer que les « 343 salopes » risquaient la mort permet de creuser un gouffre entre l’héroïsme féministe et la lâcheté des salauds « qui ne risquent rien ».
Elles risquaient la prison
Vous écrivez : « Les risques étaient grands, alors, en termes de répression pénale.»
Effectivement, comme la loi de 1920 était encore en vigueur, les femmes qui signèrent le manifeste des 343 encouraient la prison. Pourtant, l’ambiance dans la société française avait beaucoup changé depuis l’époque où le régime de Vichy faisait guillotiner une faiseuse d’anges. Comme l’Allemagne et la France étaient réconciliées, les besoins en chair à canon n’étaient plus ce qu’ils étaient en 1920, après la grande saignée de 1914-18. L’avortement thérapeutique était autorisé depuis 1955. La loi Neuwirth, approuvée par de Gaulle, avait permis la vente de la pilule contraceptive en pharmacie. Enfin, l’interdiction de l’avortement était massivement bafouée. Théoriquement, les 343 risquaient la prison, mais en fait, que s’est-il passé ? Rien. Aucune n’a été inquiétée. Elles n’ont pas même écopé d’une amende, pas même d’un rappel à la loi. Le risque était plus théorique que réel. D’ailleurs, Simone de Beauvoir en était parfaitement consciente. « Selon toute vraisemblance nous ne serions pas punies pour notre acte. Comme Sartre, j’étais un trop gros gibier, et personne n’aurait osé m’arrêter, aussi n’y voyez pas trop de courage : j’étais intouchable. » p. 634 Les autres signataires, celles qui n’avaient pas la notoriété de Simone de Beauvoir, ne risquaient pas grand-chose non plus car au nom de quoi aurait-il été possible de poursuivre les signataires anonymes si les personnalités qui avaient signé ne l’étaient pas ?
Elles défiaient l’ordre moral
Vous écrivez : « Les 343 femmes qui ont pris la parole pour dire qu’elles avaient avorté défiaient l’ordre moral ». Pour Nicole Muchnik, l’une des signataires du manifeste des 343, prôner la liberté à avorter, à disposer de son corps en tant que femme avait à l’époque une odeur de souffre.
Oui, sans doute, mais quelles ont été les réactions au manifeste ? La biographe de Simone de Beauvoir n’en dit rien. Je sais seulement que Jean Daniel, le directeur du Nouvel Observateur, a immédiatement adhéré au manifeste et que Charlie Hebdo l’a accueilli avec enthousiasme. Je pense, à vue de nez, que les réactions de la presse ont été bienveillantes et encourageantes à gauche. A droite, particulièrement dans la presse catholique, les réactions ont certainement été plus critiques, mais courtoises.
Observez la différence avec les 19 salauds. Toutes les réactions ont été non seulement hostiles, mais injurieuses (à l’exception d’une seule, celle d’Elisabeth Badinter). Ils ont été couverts d’injures et de crachats. Si vous prenez la parole en tant qu’homme dans notre société féministe pour dénoncer le machisme, la misogynie, le sexisme, les violences faites aux femmes et tout le reste, ce qui est le discours à peu près systématique de tous les hommes qui s’expriment dans les médias, tout va bien. Vous êtes un type bien. Mais si vous prenez la parole pour dire autre chose, attendez-vous aux injures.
Stupidité satisfaite ; bêtise pré-soixante-huitarde ; plumitifs réactionnaires ; beaufs ; beaufs à la Zemmour. antiféministes, patriarcal et capitaliste ; une poignée d’imbéciles qui se font de la pub. réacs, sexistes et machistes ; paternaliste.ignoble ! Lamentable. Ils ont perdu leur humanité.
Joël Carreiras « 343 salauds » pour disposer librement des autres en écho aux « salopes » d’hier qui se sont battues pour disposer de leur corps : ignoble ! Laurent Verat L’idée qu’on puisse revendiquer le « droit à sa pute » me dépasse complètement. Pour la pénalisation des clients. @Laurent Verat Honte aux 343 Lapins-Crétins du lamentable manifeste pour avoir « droit à leur pute ». Anne-Yvonne Le Dain @Ayledain ; @Nicolas Bedos1 quel (orthographe d’origine) tristesse de vous savoir parmi les 343 salauds qui ont perdu leur humanité en soutenant la marchandisation du corps. Honteux, scandaleux, envie de dégueuler, tous des salauds ! http://t.co/HC9YyQLQFl Julien Hermain43 @Julien Romain43
Comme vous le constatez, la machine à décerveler, à produire la pensée unique et le conformisme fonctionne avec une efficacité redoutable.
Si vous considérez que les 343 femmes affrontaient l’ordre moral, vous devriez admettre que les 19 clients, eux aussi, l’ont affronté, autant et je dirais même davantage. Je serais vraiment très surpris si vous parveniez à me prouver que le manifeste des 343 femmes a été accueilli avec autant de haine, de mépris et de calomnies. Alors, pourquoi autant de sexisme de votre part ? Vous ne devriez pas dire qu’ils ne risquaient « rien », car affronter l’ordre moral, c’est quelque chose. Après tout, Roger Salengro et Pierre Bérégovoy se sont suicidés après une campagne de presse haineuse.
La preuve que la pression de l’ordre moral était énorme, c’est que l’un des signataires, Nicolas Bedos, s’est repenti. Après les prostituées repenties, les clients repentis, voici les signataires repentis. Il a fait amende honorable, a déclaré qu’il regrettait son geste, que la référence au manifeste des femmes qui avaient déclaré avoir avorté était indécente et il a qualifié les autres signataires de « personnages nauséabonds ». Vraiment un type bien ce Nicolas Bedos. Vous voyez bien qu’ils n’étaient pas tous « abjects ». En plus il réaffirme en lettres capitales qu’il n’a « JAMAIS » eu recours aux services d’une prostituée. Quand je vous disais que c’est un type bien. Pourtant mon estime va plutôt à ceux qui n’ont pas craqué sous la pression.
Mais tout cela, ce sont des détails. La vraie question n’est pas là parce qu’il ne s’agit pas d’une compétition pour savoir qui risquait le plus. Il s’agissait de dénoncer une injustice. Et on a le droit de dénoncer une injustice, même si on ne risque « rien ». Mais comme vous avez fait une montagne de la différence des risques encourus, j’ai pensé que quelques observations étaient utiles.
Mais peut-être pensez-vous, comme beaucoup, qu’on n’a le droit de dénoncer l’injustice que lorsqu’elle est grande, mais qu’on doit la supporter lorsqu’elle est petite. Et comme ceux (peu nombreux, il faut le dire) qui voient une injustice dans l’amende de 1500 euros considèrent que l’injustice faite aux clients est petite, ils considèrent qu’ils doivent la subir sans murmurer et qu’il est abject de leur part de la dénoncer. Ou peut-être pensez-vous que dans une société féminisme, dénoncer l’injustice est un droit réservé aux femmes et que, si des hommes sont victimes d’une injustice, ils n’ont pas le droit de se plaindre.
POUVOIR ECONOMIQUE
Vous écrivez: « Votre possibilité d’être clients n’est qu’une preuve de votre pouvoir économique dont vous disposez dans cette société patriarcale et capitaliste. »
Votre raisonnement (implicite) est le suivant : la société française (et plus généralement les sociétés occidentales) est patriarcale et capitaliste. La conséquence du patriarcat, c’est que les hommes ont « des privilèges », notamment un « pouvoir économique » que les femmes n’ont pas. Par suite de ce « pouvoir », les hommes ont la possibilité d’être clients (d’acheter un être humain, pour reprendre la terminologie en vigueur), alors que les femmes ne l’ont pas. Le caractère sexué de la prostitution s’explique alors par le pouvoir économique des hommes sur les femmes ou, pour dire les choses un peu différemment, par la domination des hommes sur les femmes.
Le rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi (n° 1437), renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, par mme maud olivier, députée, écrit : « La prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes : en effet, si 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. »
Finalement, l’opinion du rapport maud olivier, selon lequel la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, c’est aussi votre idée, pas vrai, puisque la prostitution s’explique par le « pouvoir économique » dont seuls les hommes disposent.
Mais que voulez-vous dire exactement quand vous écrivez que vos clients disposent d’un « pouvoir économique » ? Voulez-vous dire qu’ils sont patrons d’un groupe de presse et propriétaires de journaux et de chaînes de télévision comme Rupert Murdoch ou Silvio Berlusconi ? Ou financiers milliardaires comme Georges Soros, célèbre pour ses activités de spéculation sur les devises et les actions ? Ou dirigeants d’un groupe de transports, de logistique, de distribution d’énergie qui se développe également dans l’automobile, la communication, la publicité, les médias et les télécommunications comme Vincent Bolloré? En fait, non, pas vraiment. Ce que vous appelez « disposer d’un pouvoir économique », c’est avoir assez d’argent pour payer une passe.
Dans le fond, ce que vous dites quand vous écrivez : « Votre possibilité d’être clients n’est qu’une preuve du pouvoir économique dont vous disposez. » n’est pas faux si l’on comprend que par « disposer d’un pouvoir économique », il faut comprendre « avoir de quoi payer la somme demandée par une prostituée ». En effet, si un client n’a pas de quoi payer, la prostituée n’acceptera pas de répondre à sa demande sexuelle. Il n’aura pas la possibilité d’être client. Honnêtement, que faites-vous si un homme vous dit qu’il n’a pas de quoi vous payer la somme que vous demandez ? Vous lui refusez la possibilité d’être client.
Le problème (si vous me permettez de voir un problème dans ce que vous écrivez), c’est que ce n’est pas cette constatation banale que vous vouliez faire. Ce que vous voulez dire en réalité (si j’ai bien compris), c’est que la possibilité des hommes d’être clients résulte d’un pouvoir qu’ils auraient sur les femmes, pouvoir qui leur serait conféré par la société « patriarcale et capitaliste ».
Ce « pouvoir » peut se résumer à peu de choses. Vous écrivez dans votre livre « Libérez le féminisme » que vos clients ne sont pas nécessairement plus riches que vous. Et c’est bien le cas. En voici un exemple. Un sociologue, Patrick Gaboriau, a vécu parmi des clochards et a recueilli leurs histoires. L’un d’eux, Gilles, raconte : « J’allais souvent rue Saint-Denis dans le temps. J’allais voir ce qui se passait. Je mangeais là-bas puis je me baladais dans le quartier, c’est bourré de putes ! Des vieilles, des jeunes. Des moches, des super nanas. » Gilles dit en riant « s’offrir » de temps à autre une prostituée, « quand je suis en fonds », « quand vraiment je tiens plus ». Affirmer qu’un clochard détient un « pouvoir économique », c’est peut-être aller un peu loin, vous ne trouvez pas ?
Ce que je trouve absurde (entre autres) dans les idées féministes, c’est le fait de poser comme un dogme qu’un homme, simplement parce qu’il est un homme, est nécessairement un dominant. Certains le sont, mais pas tous, loin de là. Un clochard, un sans abri ne sont pas des « dominants ». De même un immigré, sans papiers, séropositif qui se prostitue pour ne pas crever de faim n’est pas un dominant. Voici un extrait de la réponse de Massima Boumana, migrant algérien, séropositif et pédé au président de l’association « Aux captifs de la libération », auteur d’un texte intitulé « Loi anti prostitution, une vraie chance de s’en sortir » paru sur aleteia.org.
« Vous le savez, vos tournées ont lieu dans la rue, c’est-à-dire là où le travail sexuel est exercé par les femmes et les hommes qui sont dans des situations de vie ou de survie les plus difficiles. Il s’agit en majorité de trans, d’étranger-e-s souvent sans papiers français, souvent toxicomanes, souvent déviant-e-s socialement sur les plans du genre et/ou de la sexualité, souvent séropositifs/ves, souvent sans domicile fixe. Donc, en effet, la plupart des personnes que vous rencontrez ont bien moins de « choix » que vous et d’autres. Mais contrairement à vous, je n’arrêterai pas le raisonnement là : toutes ces personnes dont la condition m’est familière n’ont pas non plus vraiment le choix d’exercer ce travail plutôt qu’un autre. Qui offre du travail à un toxicomane dont le CV possède un énorme trou et dont l’apparence physique ne correspond pas aux critères de respectabilité requis pour être intégrable sur le marché du travail, à une femme ou à un homme trans-étranger-e et qui plus est sans papiers français ? Qui offre du travail à une ex-pute ou actrice porno ? Vous peut-être ?
Précisons quelque chose avant d’aller plus loin : personne ne dit qu’exercer la prostitution est un « travail comme un autre », expression qui ne veut rien dire. En revanche, j’attire votre attention sur le fait que ce travail, avec toutes ses spécificités, est parfois uniquement ce qui reste à ceux et à celles qui sont exclu-e-s de tous les autres emplois.
Pensez-vous vraiment qu’un homme exclu de tous les emplois et contraint de se prostituer pour survivre est un dominant ? Je crois que non.
Les prohibitionnistes ont un procédé particulier pour démontrer. Ils commencent par utiliser des mots qui n’ont pas de rapport avec la réalité. Ils ne disent pas : « Payer une prostituée » mais « Acheter un corps humain ». De la même manière, quand ils règlent une course de taxi, ils devraient dire qu’ils achètent le corps du chauffeur de taxi. Après cela, ils prennent au pied de la lettre les termes qu’ils ont utilisés, par exemple acheter un corps humain, comme si elle exprimait une réalité. Ils déclarent sans rire qu’ils s’opposent à la prostitution parce que « le corps humain n’est pas à vendre.», parce que « le corps humain n’est pas susceptible d’appropriation », etc.
Cette manière d’argumenter est malhonnête et perverse. Utiliser l’expression « disposer d’un pouvoir économique » pour désigner simplement le fait d’avoir suffisamment d’argent pour payer une passe est aussi une manière perverse d’argumenter.
L’un des (nombreux) tours de passe-passe des prohibitionnistes consiste à les passer à la trappe les hommes qui se prostituent, ce qui permet de transformer la prostitution, de violence faite aux personnes prostituées en une violence faite exclusivement aux femmes. « La prostitution est une guerre contre les femmes.». Elle est « Une violence faite aux femmes. » Quand vous expliquez la prostitution par le patriarcat, vous faites un peu comme les prohibitionnistes, vous passez à la trappe la prostitution masculine. Vous faites de la prostitution une affaire exclusive des femmes.
De plus, si par « pouvoir économique » on entend simplement le fait d’avoir suffisamment d’argent pour payer une passe, de nombreuses femmes aussi ont un « pouvoir économique ». Comme le dit justement Evelyne Sullerot, les femmes ont toujours travaillé. Mais aujourd’hui, plus particulièrement, certaines ont des revenus très confortables. Elles sont cadres supérieurs, magistrates, ministres, députées, hauts fonctionnaires, professeurs d’Université, dirigeantes d’entreprises, avocates…Elles ont « un pouvoir économique ». Et mêmes celles qui n’ont pas des professions brillantes, si elles ont un emploi raisonnablement rémunéré, ont suffisamment de revenus pour « exercer un pouvoir économique », c’est-à-dire pour payer un homme ou une femme prostitué-e. Par conséquent, si les hommes « vont aux putes » et si les femmes n’y vont pas, ce n’est certainement pas la conséquence d’un « pouvoir économique » qui serait un privilège masculin dans une société patriarcale et capitaliste. La véritable raison est ailleurs.
Vous dites que notre société est capitaliste et c’est parfaitement exact. Vous en déduisez que seuls les hommes ont le « pouvoir économique » et c’est parfaitement faux. Comme je viens de le montrer, ce que vous appelez pompeusement « pouvoir économique » n’est que le fait de posséder assez d’argent pour payer une passe. Le fait exact que la société est capitaliste, n’a pas pour conséquence le fait que les hommes seuls ont « le pouvoir économique » parce que, précisément, dans une société capitaliste, les femmes ont la possibilité de travailler comme salariées, comme commerçantes, comme professions libérales, comme haut fonctionnaires, comme dirigeants politiques, etc. .
Vous dites encore que notre société est patriarcale. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un cliché féministe dépassé. Les sociétés occidentales ne sont pas patriarcales, mais féministes. L’idéologie dominante est y le féminisme. L’Etat est féministe. Il consacre des moyens financiers matériels et humains pour entretenir un ministère des droits des femmes. Mais où est le ministère des droits des hommes ? L’ONU est féministe. Il existe une branche de l’ONU qui s’appelle ONU femmes. Mais où est ONU hommes ? Les institutions européennes sont féministes, l’enseignement, les universités sont féministes. Alban Ketelbuters est doctorant en études féministes à l’Université du Québec. Il écrit : « Le voile islamique constitue à lui seul une violence symbolique en ce qu’il est l’étendard de la domination masculine. » Encore un petit gars qui a bien appris ses leçons. Mais dites moi, vous en connaissez beaucoup des doctorants en études masculinistes ? Margot Blanchard est membre du groupe de recherche histoire, femmes, genre et migration. Vous en connaissez beaucoup des femmes qui sont membres du groupe de recherche histoire, hommes, genre et migration ? La presse est féministe. J’ai écrit à la BBC qui diffuse l’émission « one woman » pour demander à quel horaire je pourrais écouter son programme « one man » (c’était une question ironique car je sais très bien que les médias ne consacrent pas d’émission aux hommes). La BBC m’a répondu, fort aimablement, que l’émission « one man » n’existait pas. Je m’en serais douté. Les partis politiques sont féministes, les intellectuels sont féministes, le mouvement du nid est féministe, les associations féministes sont féministes... Traduit en langage féministe, cela donne : « Comment se fait-il que personne ne se préoccupe jamais des femmes ? Pourquoi les femmes sont-elles les éternelles oubliées ? Parce qu’elles sont des femmes ? ».
Vous me répondrez que c’est bien la moindre des choses. Il ne manquerait plus que cela qu’il y ait un ministère des droits des hommes, que l’ONU se préoccupe du sort des hommes, que les universités fassent des recherches sur la condition masculine. Et puis quoi encore ? Les hommes ont tout. Il n’y a nul besoin de se préoccuper de leur sort. La seule chose qui compte, c’est le sort des femmes, les droits des femmes. Les droits des hommes, le sort des hommes, la condition des hommes dans le patriarcat, on s’en fout. Mais peu importe, admettons que notre société soit patriarcale, comme vous dites. Cela ne change rien au fait que les femmes, dans cette société dite « patriarcale » ont la possibilité de travailler comme salariées, comme commerçantes, comme professions libérales, comme artisans, comme haut fonctionnaires, comme chefs d’entreprise, comme dirigeants politiques, etc. et donc qu’elles ont un « pouvoir économique ».
Le mouvement du nid dit que payer pour obtenir un rapport sexuel c’est l’imposer. Dans le fond, cette idée n’est pas éloignée de votre idée de « pouvoir » des hommes sur les femmes. Les deux idées aboutissent à la conclusion d’une domination masculine (à « abolir », évidemment, car contraire à « l’égalité des sexes »), d’un rapport sexuel imposé, donc non consenti, donc une violence. Je pense qu’au mouvement du nid ils doivent être contents de constater que vous vous ralliez à leur point de vue.
Vous parlez également aussi d’un pouvoir « symbolique » des hommes. Ce pouvoir n’existe pas. Je suis un homme et je n’ai jamais eu l’impression de détenir le moindre pouvoir « symbolique » ou « psychique ». Ce pouvoir n’est qu’une invention des prohibitionnistes qui leur permet de soutenir qu’il y a « toujours contrainte » et donc que le rapport sexuel n’est jamais consenti. Honnêtement, pensez-vous qu’une femme qui accepterait de payer à un homme prostitué la somme qu’il réclame sera refusée parce qu’elle ne dispose pas du « pouvoir symbolique » par lequel elle pourrait le « contraindre » ? Franchement ce n’est pas sérieux. Ne pourriez-vous cesser de débiter ce genre de sottises ? Quand je vous lis, j’ai parfois l’impression de me trouver sur le site du mouvement du nid.
Vous critiquez à juste titre les féministes que vous appelez mainstream ou anti-prostitution. Mais en affirmant que l’homme qui a un rapport avec une prostituée l’impose par un « un pouvoir économique » ou « symbolique » vous êtes, vous aussi, d’une certaine manière, une féministe anti prostitution.
Non seulement la possibilité d’être clients n’est pas un privilège masculin, mais même certaines femmes sont effectivement clientes de prostitués, même si elles sont peu nombreuses. Mais surtout, le plus important, c’est qu’à peu près toutes celles qui souhaiteraient l’être pourraient l’être si tel était leur désir. Si elles ne le sont pas, ce n’est nullement une conséquence du « patriarcat » ou du capitalisme ou d’un « pouvoir économique » qui serait réservé aux hommes, mais tout simplement parce qu’elles ne le souhaitent pas.
Marcela Iacub (que vous connaissez peut-être) écrit : « Il est certain que tant que les hommes ne proposent pas de vendre leurs faveurs sexuelles aux femmes, ou, dit autrement, tant que les femmes ne deviennent pas elles-mêmes acheteuses de services sexuels, la transformation culturelle que la prostitution promet à la sexualité ne sera qu’un signe de plus des inégalités réelles qui subsistent dans ce domaine entre les hommes et les femmes. » J’aime bien Marcela Iacub qui est souvent perspicace. Mais là, elle dit des sottises. D’où tire-t-elle que « les hommes ne proposent pas de vendre leurs faveurs sexuelles aux femmes » ? C’est complètement absurde. Si une femme recherche des partenaires sexuels gratuits, elle en trouvera treize à la douzaine, mais si elle propose de payer, ce sera des centaines de milliers. Les hommes qui proposent de vendre « leurs faveurs sexuelles » existent. Par exemple, un étudiant propose sur le site Planet Romeo pour 1000 euros la nuit (200 euros de l’heure) un moment bien chaud et indique être ouvert à tous les fantasmes. Marcela Iacub veut-elle nous dire que cet étudiant propose son moment bien chaud exclusivement aux hommes ? Que si elle proposait de lui payer 200 euros de l’heure ou 1000 euros la nuit, il lui refuserait « ses faveurs sexuelles » ? A-t-elle essayé ? Et si elle n’a pas essayé, sur quoi se base-t-elle pour dire que les hommes ne proposent pas de vendre leurs faveurs sexuelles aux femmes ? Ici, Marcela Iacub (un peu comme vous) dit n’importe quoi.
Marcela Iacub dit encore : « Tant que les hommes ne proposent pas de vendre leurs faveurs sexuelles aux femmes, ou, dit autrement, tant que les femmes ne deviennent pas elles-mêmes acheteuses de services sexuels ». Comment ne comprend-t-elle pas que les deux ne sont pas du tout la même chose. Les hommes proposent de vendre leurs faveurs sexuelles aux hommes comme aux femmes. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un fait futur, mais d’un fait actuel. Si les femmes ne sont pas actuellement acheteuses de services sexuels, ce n’est pas du tout la conséquence du fait que les hommes « ne proposent pas », mais simplement du fait qu’elles ne le veulent pas. En d’autres termes, il ne s’agit pas du tout de la même chose dite sous deux formes différentes, mais de deux affirmations différentes.
Si les femmes ne sont pas acheteuses, c’est parce qu’elles n’acceptent pas de payer. Et elles n’acceptent pas de payer, parce qu’elles n’ont pas besoin de payer. Elles n’ont pas besoin de payer parce qu’elles peuvent trouver autant de partenaires gratuits qu’elles veulent, ce qui n’est pas du tout le cas des hommes.
Un reproche fréquent adressé à la prostitution, c’est qu’elle serait « contraire à l’égalité des sexes », la sacro-sainte égalité des sexes. C’est ce reproche que l’on trouve, notamment, dans le rapport maud olivier, reproche qui sert à justifier l’interdiction de la prostitution. Puisqu’elle est contraire à l’égalité des sexes, il est évident qu’il faut l’interdire.
« La prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes : en effet, si 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. »
C’est vrai, la prostitution est un phénomène sexué, mais en quoi cela blesse-t-il les droits des femmes ? Nous n’avons aucune réponse à cette question. Ils ne se la posent même pas. Il leur suffit de dire que « c’est sexué » pour justifier une répression sexiste. Ce que l’absence de raisonnement du rapport maud olivier sous entend, c’est que le fait que 99% des clients sont des hommes bafouerait un droit des femmes. En fait, ce n’est nullement le cas. Si les femmes ne veulent pas payer pour avoir des relations sexuelles, c’est leur droit. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont privées d’un droit.
Les femmes comme les hommes ont le droit de vote. Mais imaginons que, pour une raison obscure, la plupart des femmes décident de ne pas exercer ce droit de telle sorte que le vote serait à 99% masculin. Le vote serait alors « sexué », comme dit le rapport, puisqu’il suffit pour cela de constater que 99% des clients sont des hommes. Mais en quoi le droit de vote des femmes serait-il bafoué ? En quoi le fait que les femmes s’abstiennent de voter serait-il une raison pour interdire le droit de vote aux hommes ? Si un électeur décide de ne pas voter, c’est son droit aussi longtemps que le vote n’est pas obligatoire (comme en Belgique). Mais cela ne signifie pas qu’il a été privé de son droit de vote.
Les hommes sont défavorisés par rapport aux femmes sur le plan sexuel parce que leurs besoins sont considérablement supérieurs à ceux des femmes. De ce fait, les femmes peuvent facilement avoir autant de partenaires sexuels qu’elles le souhaitent (leur principal problème étant de repousser les importuns qui les sollicitent), alors que la vie sexuelle des hommes est dure, pénible et difficile. La vraie cause de la prostitution, c’est le déséquilibre des besoins sexuels. Les hommes sont contraints de payer, alors que les femmes peuvent facilement avoir des partenaires sexuels sans payer. Si, comme le disent les prohibitionnistes, « la prostitution est un phénomène sexué », si les femmes ne recourent pas à la prostitution (ou très marginalement) parce qu’elles n’en ont nul besoin. De la sorte, le fait que les hommes sont défavorisés sur le plan sexuel sert de justification pour les punir. Il ne suffit pas que les hommes ne puissent pas (ou très difficilement) avoir des relations sexuelles non vénale, la société veut aussi les empêcher d’en avoir en payant. Je ne parle pas ici des hommes puissants, comme François Mitterrand qui non seulement était polygame, mais avait en outre des dizaines de maîtresses, maîtresses qui étaient en quelque sorte des prostituées parce qu’elles trouvaient des avantages (des postes au PS ou ailleurs) à fréquenter un homme puissant. Les députés votent d’un cœur léger la répression sexuelle contre les hommes parce que, étant placés au-dessus du peuple, ils ne sont pas concernés par les lois. François Bayrou (à propos de l’affaire Tapie) déplorait cet atavisme d’Ancien Régime qui fait que l’on considère que les puissants échappent à la règle commune. Nous mesurons à quel point les sociétés occidentales féministes et capitalistes sont injustes, cruelles, malveillantes et malhonnêtes envers les hommes.
En affirmant que la prostitution est contraire à l’égalité hommes femmes, le rapport parlementaire laisse entendre qu’elle est un privilège masculin, un pouvoir des hommes sur les femmes, alors que c’est exactement le contraire. La prostitution est un pouvoir sexuel des femmes sur les hommes. C’est vrai que la sexualité est sexuée. C’est vrai que la sexualité masculine est différente de la sexualité féminine. Par conséquent la sexualité masculine est contraire à l’égalité des sexes. Et le fait que les hommes ont un pénis, lui aussi, est sexué, lui aussi, il est contraire à l’égalité des sexes. En fait, les féministes reprochent une chose à la sexualité masculine, c’est qu’elle n’est pas féminine. La sexualité féminine est considérée comme une norme, comme la seule sexualité acceptable.