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La prostitution
4 mars 2016

Prostitution : halte au triomphe de l’interdit !

Certes, nous l'avons bien cherché. Mais le « Manifeste des 343 salauds » a déchaîné de telles attaques et injures que je me vois contraint de préciser ma pensée de petit salopard. L'idée m'en est venue durant une conversation avec Elisabeth Lévy le 10 octobre ; j'avais accepté un entretien avec Causeur parce que je trouve sain de discuter avec les gens qui ne sont pas d'accord avec moi (Elisabeth s'est opposée au mariage homosexuel, alors que j'y étais favorable).

A un moment de l'interview, elle évoqua la question de l'abolition de la prostitution, et c'est alors que j'ai suggéré l'idée d'une pétition de 343 « salauds » clients de prostituées, allusion aux 343 « salopes » affirmant avoir avorté, en 1971. Le magazine Causeur a décidé d'en faire sa couverture, avec un titre dont je ne suis pas l'auteur : « Touche pas à ma pute ». Présenté partout comme l'initiateur de cette pétition, je me suis retrouvé porte-parole des hétéro-beaufs-réacs-machistes-ringards-obsédés.

 

J'avais sous-estimé la violence d'Internet. J'assume sans problème de susciter la vindicte des haters, d'un Web qui semble avoir été créé pour permettre à tous les aigris du monde de se donner la main. Mais enfin : imaginez un plaisantin cloué au pilori et couvert de crachats avec un bonnet d'âne sur la tête ; le garnement finit par être tenté de se justifier.

La ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, fut la première à dénoncer le parallèle entre les 343 salopes et les 343 salauds, estimant que « si les 343 salopes demandaient à disposer de leur corps, les 343 salauds demandent à disposer du corps des autres ».

La formule sonne bien, mais elle est doublement fausse. Personne ne réclame le droit de disposer du corps d'autrui dans une relation entre adultes consentants ; il s'agit d'un échange tristement clair (plaisir contre argent), dont le principal défaut est de ne plus correspondre à la morale républicaine.

LIBERTÉ DE DISPOSER DE SON CORPS

Quant à la prostituée qui a choisi son activité, ne se bat-elle pas pour la liberté de disposer de son corps ? Passons là-dessus. Je ne devrais pas m'exprimer sur un sujet que je connais mal, mes investigations s'arrêtant au Baron de l'avenue Marceau (ancienne époque, fin 1980 début 1990, avant que ce bar à hôtesses ne devienne une boîte à la mode). A mon humble avis, seule la parole des prostituées devrait être écoutée.

La seule vérité dans mon parallèle provocateur entre « salopes » et « salauds », c'était ceci : en 1971, les femmes qui avortaient étaient stigmatisées, honteuses ; en 2013, les clients de prostituées sont stigmatisés, honteux. Il est là, le point commun. Proposer une loi pour pénaliser les clients des prostituées revient à dénoncer des personnes qui se trouvent, qu'on le veuille ou non, en situation de détresse et d'isolement. Ce dont on ne parle jamais dans ce non-débat, c'est de la misère sexuelle.

Pénaliser les clients de prostituées revient à humilier des individus déjà frustrés, car ils n'ont pas accès à la merveilleuse jouissance promise par la publicité, le cinéma, les magazines et la télévision. De même qu'une femme qui avorte n'est pas une salope, un client de prostituée n'est pas un salaud ; c'est un paumé solitaire dans une époque de fête sexy.

On caricature la prostitution comme une relation sordide dans un caniveau, alors que cela peut aussi être un homme dépressif sauvé dans un bar par une femme qui l'écoute et lui tient la main pour l'aider à traverser sa nuit. Que se passera-t-il quand il n'aura plus cette soupape de sécurité ? Certains deviendront-ils dangereux ?

Il est permis de se demander comment la police procédera pour arrêter ces ignobles porcs : à quel moment seront-ils dans l'illégalité ? Quand ils aborderont la fille, quand ils la paieront ? Les contrevenants seront-ils arrêtés, menottés, placés en garde à vue ? Qui va les dénoncer : les prostituées, les voisins, leur épouse ?

QUID DE LA PROSTITUTION HOMOSEXUELLE ?

La prostitution existe pour les deux sexes : beaucoup de femmes seules, âgées, abandonnées, sont enchantées d'avoir recours à des escort boys. Et quid de la prostitution homosexuelle ? La cause semble entendue : un client qui va voir une prostituée du sexe féminin est un affreux macho, mais si un homme va voir un autre homme, lequel domine l'autre ?

Je croyais naïvement que notre pétition susciterait un débat sur cette nouvelle extension du domaine de la police. Mais le débat n'aura pas lieu : le sujet est trop tabou et l'époque trop puritaine. La loi sera probablement votée à l'unanimité, comme cela se pratique dans toutes les grandes démocraties.

J'envie les étudiants de Mai 68, pour qui « il était interdit d'interdire » ; maintenant qu'ils sont au pouvoir, les anciens soixante-huitards proclament plutôt qu'« il est urgent de ne plus rien permettre ». Il existe probablement au gouvernement des conseillers chargés chaque jour de trouver de nouvelles prohibitions.

Permettez-moi de leur suggérer les prochaines interdictions possibles : la boxe, le rugby, le beurre, le foie gras, le scooter, le skateboard, la vodka, les films porno, la corrida, le fromage non pasteurisé, l'amour sans capote, les 24 heures du Mans, le bronzage sans crème solaire, les bonbons, le Coca-Cola ?

Il y a, en France comme presque partout dans le monde, une extraordinaire hypocrisie sur la prostitution : une majorité de nos concitoyens est déjà allée une fois au moins dans sa vie rendre visite à une professionnelle ; pourtant personne ne l'avouera. Nous vivons dans un capitalisme de tartuffes dont la prostitution est une grotesque métaphore.

La France a interdit les maisons closes sans interdire les filles de joie ; elle s'apprête à pénaliser la clientèle en autorisant le racolage passif. En 2012, fut inauguré un splendide Musée Toulouse-Lautrec à Albi tandis qu'aujourd'hui ce peintre serait verbalisé comme un gros dégueulasse.

Et je suis prêt à parier que, parmi toutes celles et ceux qui furent outrés par le « Manifeste des 343 salauds », beaucoup furent amoureux des muses de Baudelaire, Maupassant, Toulet, Proust, Simenon, Henry Miller et Houellebecq, et pleurent la mort de Lou Reed qui célébrait les bas-fonds en chantant : « Hey babe, take a walk on the wild side »

Frédéric Beigbeder ( Ecrivain)

 

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Commentaires
L
anticonstitutionnel, pas inconstitutionnel .... dommage que l'on ne puisse pas éditer les messages.
L
l'article ancien ... j'ai oublié de poster le lien : <br /> <br /> <br /> <br /> http://libertescheries.blogspot.fr/2013/11/prostitution-comment-sanctionner-ce-qui.html
L
cet article ancien ... j'espère qu'il est toujours d'actualité. <br /> <br /> le conseil constitutionnel devrait normalement déclarer ce projet de loi inconstitutionnel puisqu'il s'agit de pénaliser l'achat d'un service légal : on autorise même de nouveau le racollage ... et la prostitution est légale du point de vue de la cour européenne. <br /> <br /> il faudrait simplement autoriser les maisons closes, meilleurs moyen de s'attaquer aux réseaux qui contraignent les femmes. <br /> <br /> de toute façon, quelle que soit la puissance du gouvernement, des médias etc ... ce n'est qu'une question de temps avant que cette activité soit de nouveau autorisée. <br /> <br /> en attendant, comment gérer la misère sexuelle, je ne vois pas. <br /> <br /> Et c'est difficile de se battre contre une telle loi car on n'ose pas forcément assumer cette position anti abolitionniste vu la tendance pseudo féministe et pleinement moralisatrice. <br /> <br /> quels sont les clients qui vont se faire choper ? pour le moment les prostituées continuent de travailler malgré l'interdiction du racollage, je vois bien les clients passer outre. <br /> <br /> j'aimerais bien entendre des histoires du genre : "le fils de nicolas Sarkozy s'est fait choper avec un transsexuel dans le bois de boulogne ;) "<br /> <br /> "laurent Fabius se serait fait sucer hier soir, et choper par les autorités" ça serait drôle. il devra participer à un stage de sensibilisation ..... etc etc<br /> <br /> <br /> <br /> ensuite, si la police intervient en pleine baise, peut-on argumenter en disant qu'on a payé la compagnie d'une fille, ce qui n'est pas illégal à ce que je sache, et que le sexe ne concernait que deux personnes adultes et consentantes ? <br /> <br /> <br /> <br /> je suis totalement contre les réseaux mafieux et contre le fait que des femmes y soient contraintes, ça s'apparente pour moi au viol. <br /> <br /> par contre je suis totalement pour le droit des femmes et hommes de se faire plaisir, de façon tarifée ou pas. <br /> <br /> un massage dans un salon de massage, ce n'est pas illégal, et on paye pour cette compagnie, ce service. les massages nudistes existent aussi et ne sont pas illégaux à ce que je sache : si l'on va voir une professionnelle pour avoir un bon massage et que ça dérive sur du sexe, je suis désolé mais là cette loi interdit quelque chose qui n'est absolument pas interdit : en quoi cela serait interdit de baiser avec une masseuse qui a elle même envie de baiser ? c'est du délire ...<br /> <br /> <br /> <br /> st louis après avoir interdit la prostitution a dû la ré autoriser et l'organiser.
P
Il y a peu de chance d'empêcher les députés de voter la loi parce qu'ils sont majoritairement prohibitionnistes et parce qu'ils suivent leurs chefs de groupe. Mais il sera possiblle de faire un recours devant le conseil constitutionnel. Pour cela, il faut réunir 60 députés ou 60 sénateurs. Si on n'y arrive pas, il restera la question prioritaire de constitutionnalité. Il faut aussi se battre sur le terrain des idées et opposer nos idées à celles des prohibitionnistes. Malheureusement, nos moyens sont dérisoires à côté des leurs parce qu'ils disposent non seulement de toutes les ressources de l'Etat (locaux, personnel, équipements informatiques, matériels de bureaux, personnel à temps plein, et de l'argent à flot), mais aussi de la complicité de la presse et de financement privés (banques, milliardaires, groupes industriels).
L
Comment faire pour empêcher que cette loi soit définitivement votée prochainement par les déPUTEs ? <br /> <br /> Totalement d'accord avec ce texte. Les partisans de la prohibition n'assument pas notre nature d'homo sapiens. Les temps veulent que nous soyons plutôt des entités économiques performantes, devant servir absolument un système appelé croissance, qu'il faut traduire par : Super crédit revolving humain et environnemental. <br /> <br /> Le retour de baton de cette tendance ultra liberticide, vue pour le moment comme un "progrès", va être d'une ampleur phénoménale. <br /> <br /> Que l'on se mêle de ceux qui contraignent les filles à la prostitution : le non consentement est bien là, mais que l'on ne se mêle pas de la sexualité des Français et des prostituées qui sont d'accord avec cette liberté, dans des relations consenties et absolument pas choquantes. <br /> <br /> La fin ne justifie pas les moyens, surtout lorsqu'ils n'obtiendront jamais la fin. <br /> <br /> Il n'y a pas à transformer en délinquants les clients de services sexuels, ou à légiférer sur des relations sexuelles consenties, qu'elles soient tarifées ou pas.<br /> <br /> Putain, on n'est pas en arabie Saoudite non ? <br /> <br /> Il ne s'agit là que d'une tentative d'épuration qui est à l'opposé du féminisme. Si les clients des putes n'étaient que des femmes et pas des hommes, les féministes seraient les premières à monter aux créneaux de la liberté.
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