Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La prostitution
14 décembre 2015

Le mensonge de la citoyenneté

Sous la monarchie d’Ancien Régime, les individus étaient des sujets. Avec la Révolution française, ils sont devenus, nous dit-on, des citoyens. « Avant la Révolution, l’Etat était tout, désormais l’individu passe au premier plan : de sujet il devient citoyen et l’Etat n’existe que pour protéger les droits de l’individu. » (Malet et Isaac, manuel d’histoire, classe de seconde). Le mot de citoyen nous vient de la Grèce antique, particulièrement de la démocratie athénienne. Ce que l’on veut nous dire lorsqu’on désigne les individus par le terme de citoyen, c’est que, dans un système politique moderne, les individus, comme les citoyens d’Athènes, participent à l’autorité de l’Etat.

 

Nous avons vu que l’on distingue traditionnellement la démocratie directe de la démocratie représentative. Les différences entre les deux systèmes sont importantes. La démocratie directe n’est possible que dans des Etats dont le territoire est peu étendu, de manière à ce que les citoyens n’aient pas à faire des centaines de kilomètres pour s’assembler. D’autre part, il est nécessaire que la population ne soit pas importante pour que l’assemblée des citoyens ne soit pas trop nombreuse. De plus, dans la démocratie directe, les pouvoirs des citoyens étaient fort étendus. Ils participaient en personne aux assemblées, délibéraient sur les lois et les votaient, désignaient les magistrats…Au contraire, lorsqu’une nation a un territoire qui s’étend, d’une extrémité à l’autre, sur un millier de kilomètres, lorsque sa population compte plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d’habitants, la démocratie directe est impossible. La seule solution possible, c’est la démocratie représentative. Les pouvoirs des citoyens sont alors beaucoup moins étendus que dans la démocratie directe.

 

« A Athènes, écrit Jacqueline de Romilly, le citoyen jouissait de droits qui ne sont même plus pensables dans le droit moderne. Il s’agissait en effet d’une démocratie directe. Les petites dimensions de la cité-Etat permettaient, à cet égard, ce que l’ampleur de nos Etats modernes rend impossible. » (Jacqueline de Romilly, Problèmes de la démocratie grecque).

 

Ce que l’on veut nous dire à travers le concept de « démocratie représentative », c’est que, bien que les droits des individus dans les systèmes politiques modernes soient bien moins étendus que ceux des citoyens athéniens, il n’en demeure pas moins qu’ils suffisent à faire d’eux des citoyens.

 

Dans la théorie du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, l’individu possède un double caractère. Il est à la fois sujet et citoyen. « Les membres de la personne publique qui prend le nom de corps politique s’appellent en particulier Citoyens comme participant à l’autorité de l’Etat, et Sujets comme soumis aux lois de l’Etat. » Jean-Jacques Rousseau, « Du contrat social ». p.181

 

Il est parfaitement évident pour tous que dans un système politique moderne, par exemple la France ou les Etats-Unis, les individus sont tenus d’obéir aux lois. Ils sont donc sujets. Mais participent-ils à l’autorité de l’Etat ?

 

L’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dit que la loi est l’expression de la volonté générale et que tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leur représentant à sa formation. 

 

Nous comprenons bien que ceux qui participent en personne à la formation de la loi sont les parlementaires, c’est-à-dire les députés et les sénateurs. Ce sont eux qui discutent et votent les lois. Mais ils ne forment qu’une toute petite minorité de la population, moins de mille personnes sur une population de plusieurs dizaines de millions d’individus. L’immense majorité de la population concourt donc à la formation de la loi « par représentant ». Mais, comme nous l’avons vu,  les députés ne sont pas des représentants. Par le vote, la volonté de l’électeur ne se communique pas au député. Par son vote, l’électeur porte son choix sur une personne qui, si elle obtient un nombre suffisant de suffrages, sera déclarée élue. Le vote se limite à cela : concourir à la sélection d’une personne. Comme cette personne ne représente ni l’ensemble de ses électeurs et encore moins un électeur particulier, les électeurs ne concourent ni individuellement, ni collectivement à la formation de la loi. Par conséquent, les électeurs ne sont que des sujets parce qu’ils sont soumis aux lois sans y concourir. Sans doute, ce sont des sujets qui votent, ce qui n’est pas à dédaigner, mais ce ne sont pas des citoyens. Leurs droits ne sont pas suffisamment étendus pour faire d’eux des citoyens. Le mot citoyen est donc démagogique. Le pouvoir politique l’emploie pour rappeler la démocratie athénienne, pour suggérer que le peuple est souverain. Et, de la même manière que le mot « représentant » est systématiquement utilisé pour désigner des députés qui ne sont pas des représentants, de même le mot « citoyen » est systématiquement utilisé pour désigner des individus qui ne sont pas des citoyens. La déclaration des droits du 26 août 1789 est connue sous le nom de Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen. L’hymne de la France, la Marseillaise commence par l’appel : « Aux armes citoyens ». Pour appeler les gens à voter, on leur demande d’accomplir leur devoir de citoyen. Et, le terme « citoyen » est devenu un synonyme de bon ou de bien. Pour faire comprendre qu’une chose est bonne, par exemple une manifestation, on la qualifie de citoyenne.

 

Nous avons vu précédemment que le concept de représentation est le socle, la clé de voûte du mensonge démocratique. C’est parce que l’on prétend que les députés sont des représentants que l’on soutient que le peuple est souverain. Il en est de même en ce qui concerne le mensonge de la citoyenneté. C’est parce que l’on prétend que les députés sont des représentants que l’on soutient que les électeurs concourent à la formation de la loi, et donc qu’ils participent à l’autorité de l’Etat. .

 

L’histoire de la Révolution française nous permet de voir un autre aspect du caractère démagogique du terme citoyen. Les révolutionnaires de 1789, on le sait, n’ont pas institué le suffrage universel, mais une forme particulière de suffrage, appelé suffrage censitaire. Selon le droit électoral décidé par l’assemblée constituante, le droit de vote était réservé à ceux qui payait au moins un impôt égal à la valeur de trois journées de travail. Ceux qui ne payaient pas ce cens étaient exclus du droit de vote. Ceux qui avaient le droit de vote étaient appelés « citoyens actifs » et ceux qui ne l’avaient pas « citoyens passifs »

 

De nos jours, le rôle de l’individu dans la vie politique se borne à voter. En dehors de cela, il ne fait rien. Après avoir glissé son bulletin dans l’urne, son rôle est terminé. Il rentre chez lui et ne fait plus rien jusqu’au prochain scrutin. Il en était de même à l’époque de la Révolution. Le rôle des citoyens actifs se bornait à élire. A partir du moment où la participation des individus à la vie publique se borne à voter, que reste-t-il à ceux qui n’ont pas le droit de voter ? Rien. Les « citoyens passifs » ne participaient en aucune manière à l’exercice de l’autorité de l’Etat. Il est donc évident qu’ils étaient purement des sujets, et par conséquent que l’appellation de « citoyen passif » était démagogique. Elle avait pour but de soutenir que, désormais, « tous étaient citoyens ». Simplement les uns étaient actifs, et les autres passifs. Mais en dehors de cela, aucun problème, tous étaient citoyens.

 

Le fait que les citoyens passifs n’étaient pas des citoyens a été observé, notamment par Robespierre, dans ses discours prononcés en faveur de l’adoption du suffrage universel : « Chaque individu a le droit de concourir à la formation de la loi par laquelle il est obligé. Sinon il n’est pas vrai que tout homme est citoyen. ».

 

D’autres ont remarqué que le suffrage censitaire violait l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme. Par exemple on pouvait lire sur une affiche signée par les présidents de 13 sociétés populaires de Paris de juin 1791 : « Vous avez déclaré que la loi ne pouvait être que l’expression de la volonté générale ; et la majorité est composée de citoyens étrangement appelés inactifs. » 138

 

Nous constatons, à cette occasion, que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen elle-même, est démagogique. Ce qui la caractérise, c’est la vantardise. Elle promet, mais elle ne tient pas ses promesses.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
La prostitution
Publicité
Archives
Publicité